Blanchiment d'argent et protection des données personnelles
Publié le :
07/04/2023
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CJUE Luxembourg Business Registers (2022) C 37/20
La Cour de justice a rendu le 22 novembre dernier une décision remarquée dans le domaine de la transparence financière en général, et de la lutte contre le blanchiment d’argent (LCB) en particulier. Dans son arrêt Luxembourg Business Registers (C 37/20), la Cour a jugé contraire aux traités européens, dans le cadre d’un recours préjudiciel, une disposition de la directive 843/2018 sur la LCB, qui prévoyait que les informations relatives à l’identité des « bénéficiaires effectifs » des sociétés constituées dans un État membres devaient être accessibles au grand public.
Par « bénéficiaires effectifs », il faut entendre, par-delà la terminologie autonome – pour ne pas dire maladroite – du droit européen, les détenteurs réels du capital des sociétés. La disposition annulée de la directive permettait en clair à n’importe qui de savoir qui était le véritable détenteur, direct ou indirect, du capital des sociétés, nonobstant tout éventuel montage social opaque.
La Cour a jugé que les principes du droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, inscrits aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE), s’opposaient à une telle publication de ce type de données.
Bien évidemment, l’arrêt ne concerne pas le traitement de ces données par les autorités nationales en charge de la LCB, c’est-à-dire, en France, le TRACFIN, le Procureur de la République ou le Juge d’instruction. Il porte seulement sur l’accessibilité par des tiers à ce type de données. La conséquence en est que ces données restent protégées, et que la lutte contre le blanchiment n’ira pas jusqu’à instaurer une transparence capitalistique totale.
Cette décision a été plus ou moins présentée, à tort ou à raison, notamment par la presse généraliste de référence, comme un coup porté à la volonté de transparence financière, et notamment à la lutte contre les méfaits des paradis fiscaux. Il est vrai que le fait, pour la Cour de Luxembourg, de protéger la confidentialité de l’identité des potentiels blanchisseurs d’argent « sale », n’est pas de nature à offrir un visage exempt de tout reproche des néophytes. Cela étant, il y a lieu de raison garder. Il n’est pas possible de protéger les données personnelles et de garantir la présomption d’innocence, tout en rendant public un listage des personnes détenant le capital des sociétés, comme si cette détention emportait possibilité de blanchiment d’argent. Il y aurait là une sorte d’inquisition par suggestion intellectuelle. De surcroît, la décision est parfaitement en conformité avec la jurisprudence de la Cour, qui considère le niveau d’imposition fiscale d’une personne, donc ses possessions et revenus, constitue une donnée personnelle, qui ne peut donc en principe être divulguée au public sans son autorisation (CJUE Satamedia (2008) C 73/07). Et dès l’instant que la détention de parts ou d’actions dans des sociétés constitue un élément du patrimoine déterminant l’imposition, et que cette information est protégée, elle ne peut par hypothèse être exhibée par transparence à l’égard du public que si et seulement un motif légitime permet de passer outre le consentement de la personne concernée. Or la LCB relève de l’action des autorités publiques, exécutives ou judiciaires, et pas de la surveillance collective de personne faisant fonction de police citoyenne auto-proclamée. En vérité, de notre point de vue, la solution de la Cour de justice doit être approuvée, car elle est la seule concevable dans un État de droit, si l’on ne veut pas transformer notre société en une sorte de Panoptique où chacun surveille tout le monde par le biais des technologies numériques, et dénonce le cas échéant ce qui lui semble être suspect. De surcroît, cette solution ne remet en rien en cause l’efficacité de la LCB, puisque l’intégralité des informations restent à disposition des autorités légitimes, dans le respect des lois et règlements.
Historique
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