La vaccination obligatoire est-elle contraire aux droits fondamentaux ?
Publié le :
18/08/2021
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L’actualité récente relative « au passe sanitaire » et à l’obligation de vaccination pour les soignants imposées par la loi du 5 août dernier relative à la gestion de la crise sanitaire témoigne de la difficile conciliation entre la protection de la santé pour tous et les droits fondamentaux.
Le Conseil constitutionnel a estimé que le « passe sanitaire » résulte d’une « conciliation équilibrée » entre libertés publiques et protection de la santé. Il en est de même de l’obligation vaccinale pour les soignants et d’autres professions en contact avec des personnes à risque.
Ainsi que l’a justement rappelé Maître Patrice SPINOSI dans un édito très récent (hors-série, La semaine juridique, juillet 2021), la déclaration de conformité de cette loi décriée par certains parlementaires n’est guère surprenante, notamment pour les personnels soignants (Conseil constitutionnel, décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, cons. 10 ; voir également Conseil constitutionnel, décision n° 2011-119 QPC du 1er avril 2011).
Nous ne pouvons que partager son analyse car la question de la vaccination obligatoire n’est pas nouvelle, y compris devant le juge administratif (CE, 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, n° 419242).
Le Conseil d’État avait notamment validé l’extension de la liste des vaccins obligatoires fixée à l'article L. 3111-2 du code de la santé publique (11 vaccins obligatoires) et rejeter la demande de retrait de ceux qui contiennent de l’aluminium (CE, 6 mai 2019, n° 415694). Cette extension, "ne méconnaît pas le droit à l’intégrité physique et au respect de la vie privée, compte tenu de la gravité des maladies, de l’efficacité de ces vaccins et de la nécessité de les rendre obligatoires pour atteindre une couverture vaccinale satisfaisante pour l’ensemble de la population".
Cela s’explique par le fait que la politique de vaccination obligatoire trouve son fondement dans le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « la Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Les dispositions de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique le rappelle clairement : " La Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. / La politique de santé relève de la responsabilité de l’Etat ». Les dispositions L3111-4 et R3112-2 du Code de la santé publique encadre la réglementation applicable en listant les vaccins qui sont obligatoires.
Autrement dit et contrairement aux idées reçues, l’instauration d’une obligation vaccinale s’inscrit dans un cadre constitutionnel et législatif bien établi.
Ainsi, il a été jugé que le principe d’une obligation de vaccination ne méconnaît, dans son principe l’objectif de protection de la santé affirmé par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Il en est de même du droit à la vie et à l’intégrité physique ou du respect de la vie privée.
Il n’y a pas non plus d’atteinte à la liberté de conscience ou encore au principe de dignité humaine.
Il appartient cependant au juge constitutionnel ou Conseil d’Etat dans sa fonction consultative de vérifier que les dispositions d’une loi instaurant obligation de vaccination sont adaptées et proportionnées aux atteintes portées aux libertés visées. Autrement dit, c’est la disproportion des mesures qui sera sanctionnée par les juges lorsqu’il y a un besoin de protection de santé de la population.
Cela est confirmé par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de de loi relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire (Avis CE, section sociale, 19 juillet 2021 n° 403.629, concernant la loi du 5 août 2021).
La vaccination obligatoire n’est pas, là encore, prohibée dans son principe par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 15 mars 2012, Solomakhin c. Ukraine, n° 24429/03). En effet, la Cour a estimé qu’une obligation vaccinale poursuit des buts légitimes de protection de la santé et de protection des droits d’autrui et répond à un besoin social impérieux (CEDH, 8 avril 2021, Vavricka c. République tchèque, n° 47621/13).
Elle reconnait, cependant, que la vaccination est une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention (CEDH, décision n° 24429/03 du 15 mars 2012, précitée) car elle est imposée sans le consentement du patient.
Elle admet cette ingérence si et seulement si elle est justifiée par des considérations de santé publique et qu’elle est proportionnée à l’objectif poursuivi. L’ingérence doit être prévue par loi et justifiée par les besoins de la protection de la santé publique et proportionnée au but poursuivi.
Dès lors, les gouvernants doivent déterminer si les besoins de la protection de la santé publique nécessitent de telles mesures restrictives des libertés individuelles. La détermination de ce besoin s’appuiera nécessairement sur les comités d’experts, sur les chiffres permettant d’évaluer la progression d’une épidémie telle que la covid et les risques supportés par les individus. C’est notamment en s’appuyant le nombre de croissant personnes infectées par le variant Delta que le juge des référés du Conseil d’Etat a refusé de suspendre l’extension du « passe sanitaire » par décret du premier ministre pour les établissements de culture et de loisirs regroupant 50 personnes à compter du 21 juillet dernier (CE, 26 juillet 2021, n°454754 et n°454792-454818).
La démocratie n’est pas malade, mais elle a peur que les régimes d’exceptions deviennent la règle. Par la force des choses, l’Etat d’urgence semble devenir le principe depuis novembre 2015.
Les revendications sont sur ce point légitimes, tout comme le sont les décisions prises par le juge constitutionnel, le juge administratif ou encore européen en l’état des données scientifiques.
« Si l’on peut admettre ces restrictions pour quelque temps, il n’est pas possible qu’elles deviennent la norme » a écrit Michel LASCOMBE (Focus sur Les états d’urgence : l’état d’urgence et l’état d’urgence sanitaire, Dalloz, 26 novembre 2020).
Didier DEL PRETE, avocat associé, cabinet BOREL & DEL PRETE
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