L’exploitation du domaine public sous l’emprise du droit de l’Union européenne
Publié le :
03/05/2022
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Lors du colloque de droit public organisé par le barreau d’Aix-en-Provence sur le thème de la domanialité publique, Me Didier DEL PRETE est intervenu sur le domaine public et le droit de l’Union européenne.
« Dans le match qui se joue depuis le XIX° siècle entre l’exercice des libertés et le pouvoir de gestion du domaine public », pour reprendre la formule employée par le Professeur Philippe YOLKA dans son article liberté, domanialité et propriétés publiques (revue RDLF, 2017…), le droit de l’Union européenne (UE) devient un arbitre majeur entre la liberté des autorités gestionnaires et les libertés dites « économiques ».
Cette différence de perception initiale entre le droit interne et le droit communautaire devenue droit de l’UE s’explique par le fait que le droit interne des biens apparaît davantage comme le droit du patrimoine alors le droit de l’UE des biens s’apparente davantage, à un droit du marché.
Le domaine public est, en effet, devenu un lieu privilégié des libertés « économiques » (cf. circulation des marchandises, prestation de services, exploitation de réseaux, etc.), d’autant plus que les opérateurs économiques sont concernés par les infrastructures publiques.
Dès lors, l’utilisation privative et exclusive du domaine public par un opérateur économique doit être plus strictement encadré. Ainsi, le pouvoir des autorités des gestionnaires domaniaux est réduit en les privant notamment du libre choix de leurs occupants privatifs.
L’emprise du droit de l’Union européenne devenait donc inéluctable car la promotion de la libre concurrence sur les propriétés publiques constitue aujourd’hui la finalité promue par le droit de l’Union européenne.
Il suffit pour s’en convaincre de se référer la généralisation progressive de l’obligations de mise et concurrence à l’ensemble des contrats publics, incluant plus récemment les contrats portant sur la propriété publique.
C’est l’approche économique qui a été privilégiée, les propriétés publiques constituant un enjeu économique pour les opérateurs économiques (ex : les gares et les aéroports, ou encore les plages…). De même, l’autorisation d’exploitation ou l’acquisition d’un bien est susceptible d’affecter la libre concurrence sur un marché concurrentiel donné, d’autant plus que cette autorisation est susceptible de conférer un avantage pour un opérateur économique.
Le droit interne ne présentait pas les garanties d’une parfaite compatibilité avec le droit de l’UE (CE, 3 décembre 2010, Ville de Paris).
Ce doute a été confirmé par les affaires Promoimpresa et Mario Mélis (CJUE, 14 juillet 2016 Promoimpresa Srl, aff. C-458/14, Mario Melis e.a., aff. C-67/15.) portant sur la même problématique de prorogation des droits exclusifs à l’exploitation des biens du domaine public maritime et lacustre en Italie (concessions conclus avec des opérateurs économique).
Il en résulte que l’acte par lequel un Etat membre attribue un droit exclusif à l’exploitation d’un bien public (domaine public/domaine privé) doit, en principe, être apprécié sous l’angle de plusieurs dispositions du droit de l’Union, notamment des articles 49 TFUE, 56 TFUE et 106 TFUE, ainsi que des règles des marchés publics ou encore des dispositions du chapitre III de la directive 2006/123 relatives à la liberté d’établissement.
Or dans ces affaires, c’est sur le fondement de la libre prestation de service et donc de la directive Services que la CJUE a jugé que les collectivités sont dans l’obligation de procéder à des mesures de sélection transparentes et non-discriminatoires pour l’octroi de concessions, a fortiori lorsque l’on est en présence de ressources rares.
En clair, l’autorisation ainsi octroyée d’exploiter le domaine public doit avoir une durée limitée appropriée, ne peut pas être renouvelée automatiquement et ne doit prévoir aucun avantage pour le prestataire sortant.
Pour répondre à cette exigence, l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, prise en application de la loi SAPIN II, a ainsi précisé les conditions dans lesquelles la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public est soumise à une procédure de sélection préalable des candidats potentiels ou à des obligations de publicité, lorsque ces titres ont pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur ce domaine (article L. 2122-1-1 du CGPPP).
Cette évolution se confirme, et pourrait, le cas échéant, être étendue au domaine privé.
En effet, dans un arrêt du 2 novembre 2021, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a pu considérer que la conclusion d’un bail emphytéotique sur le domaine privé n’était pas soumise à une procédure de mise en concurrence visée à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Elle, a, néanmoins, vérifié qu’en l’espèce les dispositions de la directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006 ne s’appliquait pas.
Cela confirme définitivement l’emprise du droit de l’UE sur le domaine public. On ne peut raisonnablement plus faire l’économie du droit de l’UE lorsqu’on aborde ce droit domanial, à plus forte raison lorsque cela concerne son exploitation.
Didier DEL PRETE, avocat associé, cabinet BOREL & DEL PRETE
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